Ecole Goa à Randaberg, Norvège

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Bars du port de Stavanger.

C’est dans cette petite ville rurale de l’Ouest de la Norvège, proche des légendaires fjords Lysefjord et Preikestolen, que j’ai passé une semaine de décembre à visiter l’école Goa, connue pour ses pratiques innovantes notamment en termes de « co-teaching » (ou co-enseignement).

L’école est grande et accueille environ 300 enfants âgés de 3 à 18 ans. Je n’ai en revanche que visité des classes de CE1, CE2 et CM1, et 5ème. Les enfants viennent de familles assez aisées (même si vu de France, tout le monde est aisé en Norvège) et la plupart des parents travaillent dans la ville portuaire voisine Stavanger, capitale de la troisième agglomération du pays, le Rogaland, centre de l’industrie pétrolière norvégienne.

C’est l’une des écoles que j’ai visitées qui m’a le plus plu : non pas parce que ce serait « l’école parfaite » mais en raison de l’esprit positif de l’équipe pédagogique et sa capacité à se questionner constamment sur le bien-fondé de ses pratiques. C’est rafraichissant après être passé dans des écoles Steiner/Waldorf ou surtout Montessori où le mode d’enseignement n’est pas remis en cause sous prétexte de respecter les préceptes supposés parfaits développés par Rudolf Steiner et Maria Montessori.

Voici en résumé les caractéristiques qui m’ont le plus marquées :

Parité filles/garçons

C’est le seul endroit où j’ai vu les garçons et les filles spontanément jouer au foot ensemble ! Cela peut paraître anecdotique mais c’est révélateur d’un phénomène de société puisque la Norvège est en 2015 le second pays du monde le plus avancé en termes de parité hommes/femmes selon le Forum Economique mondial. En revanche, il n’y a qu’un seul enseignant masculin au sein de l’équipe du primaire. Comme en Finlande, lorsque je m’interroge sur les raisons de cette équipe quasi-exclusivement féminine dans un pays célébré pour la parité, on me répond que c’est parce que les profs sont assez peu payés. Ce qui pour moi n’est pas une réponse satisfaisante car d’autres professions connaissent des rémunérations bien inférieures et c’est pourtant des hommes qui les exercent principalement. D’ailleurs le salaire des professeurs est dans la moyenne supérieure des salaires dans le pays (entre 45 000 et 70 000 euros par an contre 44 000 euros en moyenne pour un emploi à plein temps).

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Vue sur le terrain de foot et un bout du terrain de volley.

Co-enseignement et ateliers

La spécificité de cette école est le « co-teaching », ou co-enseignement : Dans une même classe de 30 à 40 élèves, il y a deux enseignantes. Il est possible de former deux salles distinctes grâce à une cloison vitrée coulissante séparant la classe en deux parties de tailles égales, chacune équipée d’un vidéo projecteur, d’un tableau noir et d’un ordinateur pour l’enseignante. Un groupe d’élève est assigné à chaque professeure pour des raisons pratiques mais les deux enseignantes sont responsables de tous les enfants de la classe. Selon Monica, enseignante en CE1, « le co-enseignement n’est pas très répandu en Norvège. Cela nécessite d’être ouvert et de ne pas avoir peur de travailler en équipe, d’avoir un regard adulte permanent sur son travail. Je pense que c’est grâce à ce travail en équipe qu’on arrive à avoir de meilleures idées et à mieux faire fonctionner la classe, à mieux s’occuper des enfants. Ce qui est sûr c’est qu’il vaut mieux bien s’entendre avec sa collègue. » Et dans cette classe, la coopération entre les deux enseignantes est bien rodée : « on fait au moins une réunion par semaine pour préparer ce que l’on va faire avec les enfants, une autre pour préparer les devoirs de la semaine que les enfants doivent rendre vendredi. Et puis tous les matins on se retrouve pour une demi-heure ou vingt minutes dans notre bureau pour préparer le travail de la journée. » détaille Annette, la collègue de Monica.

Aussi, après avoir passé les premières vingt minutes d’école en demi-groupes pour effectuer les rituels du matin (serrage de main en entrant dans la classe, écriture de la date, ouverture du calendrier de l’avent…) les enfants se regroupent-ils tous pour un cours magistral en norvégien, religion ou histoire, pendant lequel l’une des profs explique tandis que l’autre prépare le travail pratique que les enfants effectueront ensuite. Lors de ce temps de travail pratique, individuel ou en binôme, les deux enseignantes et éventuellement une assistante circulent entre les enfants pour répondre à leurs questions ou simplement s’assurer qu’ils arrivent à travailler.

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Cours de Norvégien.

En maths, les demi-groupes se mélangent pour former des groupes de niveau (il y en a trois, avec une assistante qui vient dans ce cas-là prendre en charge l’un des groupes). « Les groupes de niveau ne peuvent pas rester les mêmes pendant plus d’un mois, car alors on mettrait les enfants dans des cases, et ça serait très décourageant d’être en permanence dans le groupe des « mauvais ». Evidemment on n’appelle pas le groupe de niveau le plus faible comme ça mais les enfants ne sont pas dupes. Donc en fonction des sujets travailler, ce ne sont pas les mêmes enfants que l’on retrouve dans les groupes de niveau » explique Monica.

Durant les séances « ateliers », chaque enseignante est responsable d’un atelier avec de 6 à 10 élèves tandis que les autres enfants se répartissent sur des ateliers en autonomie. Et pendant une heure et demi les enfants tournent sur les différents ateliers. Par exemple lors d’une de ces séances, Annette menait un atelier en anglais, Monica un autre sur le décryptage de l’actualité de la semaine (dans le couloir afin de ne pas déranger les enfants en ateliers en autonomie), et ce tandis que les autres enfants se répartissaient entre un atelier « jeux mathématiques » sur les ordinateurs et tablettes et un dernier atelier « calligraphie ». Le calme qui régnait toujours m’a beaucoup impressionné !

Un autre aspect du co-enseignement qui m’a bien plu constituait en ce que une fois par semaine, pendant qu’une des enseignantes menait une leçon, l’autre appelait chacun à leur tour quelques élèves afin de faire un point avec eux sur leur bien-être : “savoir s’il y a des choses dont ils souhaiteraient parler, des questions qu’ils se posent, des angoisses particulières, des conflits ou situations désagréables aussi bien à l’école qu’à l’extérieur.” Ce afin d’y remédier. Je n’ai pas pu assister à ces entretiens privés mais j’ai vu que certains enfants y restaient près de vingt minutes. Apparemment il y avait donc beaucoup de choses à dire !

Bienveillance, absence de sanction

Même s’il est arrivé à Annette d’adopter un ton ferme et un regard sérieux pour faire que les enfants baissent d’un ton lors du travail en ateliers en autonomie, la posture que j’ai observée était celle d’une permanente bienveillance et d’une grande proximité entre enseignants et enfants. Tout le monde s’appelle par son prénom, l’humour est pratiqué à tout bout de champ, les enseignantes s’assoient ou s’agenouillent près des enfants qu’elles aident, afin de se mettre à leur niveau, elles font preuve de beaucoup de patience et ont l’air en permanence amusée voire même émerveillées de ce que leur racontent les enfants (à un point que je n’ai pas connu ailleurs que dans le Grand Nord). Certains élèves ont des looks un peu improbables, comme cette jeune fille qui se promène en permanence avec un bonnet de lutin de plus d’un mètre de long. Les enseignantes sont en lien par emails avec les parents pour leur communiquer les devoirs, faire des retours sur la journée ou échanger sur n’importe quel sujet.

Je n’ai vu aucun comportement déplacé qui aurait pu nécessiter une sanction, mais apparemment, quoiqu’il arrive, les élèves au primaire ne sont pas sanctionnés: l’enseignante les prend à part à l’extérieur de la classe, discute avec eux et tente de trouver une solution. Si nécessaire, les parents sont appelés à venir chercher une solution conjointe (même fonctionnement, donc, que ce que j’ai vu en Finlande.)

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La bibliothèque de l’école primaire.

Lorsque les enfants montrent leurs devoirs vendredi, l’enseignante passe du temps avec chacun pour comprendre ce qui a pu clocher. « Dans cette école c’est assez rapide car tous les enfants ont leurs parents qui vérifient s’ils ont fait leurs devoirs, voire même qui les font avec eux. Ce n’était pas aussi simple quand je travaillais les seize dernières années à Stavanger, dans une école de niveau sociale moins élevé, avec 58 nationalités différentes. Je savais que je devais m’attendre à ce que au moins 4-5 enfants n’aient pas de soutien adéquat à la maison donc souvent je restais avec eux après les cours. »

Profitons-en pour voir si une comparaison entre les écoliers français et norvégiens est pertinente. Puisque environ 17% des habitants de la Norvège sont immigrés ou enfants d’immigrés, presque autant qu’en France (19%), on peut se permettre à mon sens de comparer les deux situations. L’écart de revenus entre les plus riches et les plus pauvres des Norvégiens est comparable à ce que l’on trouve en France, et le nombre de personnes considérées comme étant pauvres y est de 11% contre 14% en France (mais avec 20 000 euros par an par personne, contre 12 000 en France). En revanche le pays se distingue par un taux de chômage faible (4,8% de la population active), l’IDH le plus élevé du monde et une sécurité à toute épreuve (c’est l’un des 10 pays les plus pacifiques du monde selon le Global Peace Index en 2016). Le climat social est donc très différent dans les deux pays.

Usage “raisonné” des TIC

En Finlande, je m’interrogeais sur le bien-fondé de l’utilisation extrême des TIC (technologies d’information et de communication : tableaux interactifs, tablettes, jeux en ligne, etc.) sans d’ailleurs obtenir d’autre justification que « il faut être en avance sur son temps. » Voir les collégiens et lycéens collés sur leur smartphone partout dans certaines écoles me dérangeait, et je ne comprenais pas pourquoi certains établissements investissaient des milliers d’euros dans des TV et tablettes géantes installées dans les couloirs.

A l’école Goa, j’ai eu l’impression que les TIC étaient utilisée de manière assez optimale : les enfants reçoivent une tablette à partir de 10 ans, et dans les plus petites classes un set de tablette est partagé par deux classes. En maths, les enfants alternent des jeux sur tablette très ludiques (niveau variable) et des exercices plus classiques dans leur cahier. Les tablettes sont utilisées également pour effectuer des recherches mais au primaire la plupart des productions passent par l’écriture manuelle (et contrairement à ce qui se fait en Finlande, les Norvégiens apprennent encore l’écriture cursive, qui est cependant différente de la nôtre).

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Ateliers.

Les cours de langues ne se font pas uniquement sur écran tactile comme je l’ai parfois vu en Finlande, mais combinent des applications et l’intervention des enseignantes. L’école n’était pas équipée de tableaux interactifs car l’équipe estimait que le vidéoprojecteur (très utilisé en revanche) relié à l’ordinateur de l’enseignant était un investissement suffisant. Vu que je n’ai pas bien compris l’intérêt du tableau interactif en Finlande, au Canada, ou à Dubaï, j’avoue avoir été plutôt convaincu par ce choix économique. En revanche l’école ne lésinait pas sur les investissements en matériaux de construction pour les cours de travaux manuels, en livres ou complexes sportifs.

Créativité

Si, au grand désarroi de certains professeurs, les arts plastiques et activités manuelles n’ont lieu qu’une heure par semaine en primaire, en revanche c’est une heure très efficace, non seulement en termes d’apprentissages de techniques mais aussi en termes de créativité : tous les enfants savent bien coudre et même tricoter (« j’ai mis la note maximum à toute la classe » me dit la prof d’art plastique en me montrant moufles, écharpes et sacs) ; ils savent travailler le bois de manière autonome (colle à bois, marteaux, scies, meules et même des machines plus complexes et dangereuses, sous supervision alors d’un adulte) ; se montrent imaginatifs et soignés en construction de maquettes (à quelques exceptions près).

Ils n’ont aucune difficulté à travailler en groupe et l’ambiance est à la fois décontractée et studieuse. En entrant dans l’atelier, quel que soit leur âge où la matière, les enfants se mettent directement au travail, ils savent ce qu’ils ont à faire et sont motivés. Sur le même modèle que ce que j’ai pu voir en Finlande, chaque enfant est libre de choisir l’objet qu’il créée et son design. Aussi, en menuiserie certains réalisent-ils des épées, d’autres des bateaux, d’autres encore un sarcophage…

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Arts plastiques en 5ème: architecture.

« Je trouve qu’on devrait avoir encore plus de temps pour proposer des travaux manuels, au moins aux jeunes qui le souhaitent » souligne une des enseignantes de CM1. « Les matières académiques c’est pas fait pour tout le monde, surtout à cause des programmes qui nous forcent à ne pas respecter le rythme de chaque enfant, à passer de la multiplication à la division alors que tous n’ont pas acquis les notions… Dans les matières manuelles au moins on n’est pas bridé par un programme et ça correspond bien à beaucoup d’enfants, qui ont moins de pression sur les épaules. »

Certains profs, comme Hendrick, qui n’a pas trente ans, décident de prendre des libertés vis-à-vis du programme et de faire des projets mêlant travaux manuels et autres matières, tel que l’histoire. Pendant un mois, pendant six heures par semaine (une matinée), sa classe de 5ème mène un projet sur l’Egypte antique : par groupe ou en solo, les enfants doivent construire des objets à partir desquels ils monteront une exposition à l’attention des autres classes (avec visites guidées). Je passe entre une momie (taille réelle), un temple Sumer (ça s’éloigne un peu de l’Egypte, certes), une pyramide, le trône de Toutankhamon, un masque mortuaire et un sarcophage couvert de hiéroglyphes. « C’est un peu stressant vu que je n’ai jamais fait ce genre d’activité, mais ça fait plaisir de les voir motivés. » Malheureusement pour Hendrick, sa collègue ne l’aide pas et la coopération n’est pas aussi bonne entre les deux profs qu’entre Monica et Annette.

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Maison à l’architecture inspirée du mouvement fonctionnaliste.

« Le but c’est que les étudiants apprennent à mener un projet de manière indépendante tout en enrichissant leur culture historique et apprenant à transmettre leur savoir à d’autres enfants. »

On est encore loin de la Finlande et de ses cours de musique où l’on apprend à jouer de la guitare, du piano et de la batterie ; de ses cours de menuiserie, couture, arts plastiques et cuisine hebdomadaires, mais c’est un peu le même esprit.

Des enseignants choyés

Les enseignants de chaque cycle se partagent un grand bureau, et la salle des profs est très cosy et bien équipée (canapés, fleurs, cuisine, ordinateurs). Tous les jours, un prof différent se charge d’apporter des mets variés et l’ambiance est chaleureuse. Chaque prof mange sa clémentine et son sandwich combo « pain-noir-jambon-fromage. » Comme précisé en début d’article, les salaires peuvent être élevés, jusqu’à 70 000 euros l’année (à comparer avec le coût largement supérieur de la vie en Norvège par rapport à la France).

Si il y a encore peu la durée de formation des enseignants était de quatre ans (et il ne suffit pas, contrairement à la France, de faire un M1 en n’importe quelle matière : il s’agit de suivre des études d’enseignement dès la licence), elle est passée à cinq ans. “Je ne pense pas que ce soit nécessaire: on enseigne des savoirs assez rudimentaires et ce qu’il faut, ce n’est pas plus de cours magistraux, mais plus de pratique. Il faut pouvoir rentrer dans le métier plus tôt et avoir plus de formation continue, à mon sens” soupire Annette.

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Vue sur la face Est de l’école (ça a l’air petit mais PAS DU TOUT!) 

Autres caractéristiques

  • L’école (comme chaque école publique récente) a sa propre piscine (« mais on ne l’utilise pas assez, c’est dommage », déplore l’enseignante d’EPS que je rencontre lors d’une séance de natation des CE2).
  • L’école fini à commence à 8h et finit à 13h (16h30 pour les quelques enfants qui restent aux activités périscolaires). Il n’y a pas de pause du midi, juste un snack de 30 min.
  • L’école n’a aucune barrière ou clôture : elle donne sur les champs et sur la route (avec tout de même une haie de ce côté, mais néanmoins aucun portail).
  • Les temps de récréation sont courts et relativement peu nombreux, comparé à la Finlande : 10 minutes à 10h50, après le snack du matin (qui se fait dans le silence, devant une histoire projetée sur l’écran devant le tableau).
  • Les enfants laissent leurs chaussures et leur manteau dans la salle qui sépare la classe de la cour de récréation (qui n’est d’ailleurs pas une cour, mais plutôt en grand terrain proposant de multiples activités : foot (avec six cages), beach-volley, tobogan, balançoires, cabanes en bois, poutres en hauteur… un enseignant de la classe ou assistant est en charge de la surveillance un jour sur deux.
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Cours de natation dans la piscine de l’école.
  • Tous les vendredis matin, pendant vingt minutes, toutes les classes de l’école primaires se ressemblent dans le petit amphithéâtre pour assister à une représentation préparée par l’une des classes. Le jour de ma présence, ce sont des CM2 qui forment un chœur de Noël (avec également l’intervention de cinq solistes), déguisés et à grand renfort de bougies pour mettre l’école dans l’ambiance. C’est assez solennel, mais réussi. « Cela permet de forger le sentiment d’appartenir à une communauté plus grande que le simple groupe classe », dixit Ingrid, la directrice.
  • La lecture est pratiquée 30 minutes par jour (chaque enfant a emprunté un livre de son choix à la bibliothèque de l’école). Et tous les soirs les élèves doivent lire au moins pendant 15 minutes. En revanche il n’y a pas de suivi de fait par les enseignantes sur les impressions des élèves, ni d’aide particulière apportée dans le choix des livres, ni de partage d’expérience entre les élèves, ce que je trouve un peu dommage, car du coup l’activité de lecture pourrait être encore plus stimulante, et les livres adaptés au niveau de chacun.
  • Une heure de cours de religionS (le “s” est important) est prévue toute les semaines: toutes les religions sont abordées, ainsi que l'”étique” (pour les athées), mais avec plus ou moins d’intensité: “chrétienté”: 58 pages; “étique”: 16 pages; “Islam”: 10 pages; “spiritualité diverses”: 10 pages; “judaïsme”, “hindouisme” et “bouddhisme”: 8 pages chacune. C’est le seul pays où j’ai observé ce fonctionnement et il me paraît intéressant : un moyen de ne pas ignorer le rôle des religions dans le monde et l’Histoire et de connaître leurs fondements.
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Atelier sur l’Egypte antique.